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connaissances scientifiques ≠ perceptions et attentes de la société
 

 

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Lors de la table ronde d’ouverture du e-congrès LM22 sur « les risques au cœur des transitions », le physicien et philosophe des sciences Etienne Klein a fait le constat de l’écart croissant entre les connaissances scientifiques et les perceptions & attentes de la société, et a proposé des pistes de réflexion et de discussion à garder en mémoire au long des nombreux exposés de ce congrès (replay de la plénière d'ouverture du e-congrès). Il a bien voulu en reprendre quelques-unes dans l’éditorial ci-dessous :

 

L'OPINION

 

Il est devenu difficile de se forger un avis éclairé sur les sujets scientifiques ou technologiques, de quelque nature qu’ils soient, notamment parce que les avis de ceux qui s’expriment le plus peuvent être opposés, simples, lapidaires, définitfs. Cette situation a ceci de remarquable qu’elle révèle une assez forte décorrélation entre militance et compétence, comme si le fait d’avoir une opinion radicale (« pour » ou « contre » !) permettait de se dédouaner à bon compte de l’exigence de fonder cette opinion sur des connaissances. Que nous soyons dans le camp des « pro » ou dans celui des « anti » au sein de la Cité, nous ne savons guère ce que sont les OGM, ni sur quels principes fonctionnent les réacteurs nucléaires, ni par quel miracle nos téléphones parviennent à envoyer des messages à l’autre bout du monde. Mais lorsqu’un sondeur vient nous interroger sur ces sujets, nous n’hésitons pas à répondre par oui ou par non aux questions posées. Comment expliquer cette promptitude à faire valoir son opinion en toute matière ? Elle tient sans doute au fait que nous nous prononçons non pas sur les technologies elles-mêmes, mais sur les images auxquelles notre esprit les associe. En effet, toute technologie produit un « effet de halo », comme le fit remarquer le philosophe Gilbert Simondon : elle rayonne autour d’elle une lumière symbolique, tantôt positive, tantôt négative, qui dépasse sa réalité propre et se répand dans son entourage, si bien que peu d’entre nous sont capables de la percevoir telle qu’elle est vraiment, tout entière contenue dans ses limites objectives et matérielles.

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LE DÉBAT

 

Au motif que c’est aux citoyens qu’il appartient d’examiner le type de compagnonnage qu’ils souhaitent construire avec les nouvelles technologies, nombreux sont ceux qui réclament un débat. Mais l’idée même de débat dans un monde d’opinions polarisées, avec peu de connaissances, est difficile à mettre en pratique : Comment organiser un tel débat de sorte que les citoyens et les experts puissent dire après coup, les premiers autant que les seconds, que, pour eux, il a vraiment eu lieu et a vraiment été instructif ? Où tracer la frontière entre la vulgarisation scientifique, la consultation citoyenne et ce qui revient au pouvoir politique ? Existe-t-il des procédures inclusives et consensuellement décidées, qui feraient que les avis proposés au terme du débat apparaîtront légitimes, même aux yeux de ceux qui ne les approuveront pas ? En France, nous n’avons jamais trop bien su répondre à de telles questions.

Chacun se souvient du débat public national qui s’était tenu en 2009-2010 au sujet des nanotechnologies. Il s’était déroulé dans de très mauvaises conditions, offrant le spectacle d’un curieux mélange de conflits violents et d’indifférence massive. Les obstacles auxquels s’était heurté ce débat illustrent la difficulté de l’exercice : la complexité du sujet et les enjeux qui l’accompagnaient étaient tels qu’on ne parvint jamais à atteindre le niveau d’une véritable argumentation, et pas seulement celui du témoignage ou de l’idéologie. Certains avaient alors parlé, à juste titre, de « fiasco ».

 

Dans un tel climat, l’acceptabilité des innovations et des risques technologiques n’a plus rien d’automatique. Certes, des décisions sont bel et bien prises par les instances représentatives, mais le public, de plus en plus actif sur les réseaux sociaux, ne s’y rallie pas toujours. En la matière, l’adoption d’une loi n’apaise en rien les passions, moins encore l’angoisse, d’autant que notre société semble viser une sécurité maximale. Mais cette recherche d’un accroissement permanent de la sécurité implique des innovations, qui elles-mêmes induisent de nouveaux risques, engendrant ainsi une dynamique sans fin qui contribue à faire accroire que les risques colonisent tous les aspects de la vie quotidienne.

 

Ainsi notre société est-elle devenue une « société du risque ».

 

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Le principe de précaution est censé nous aider à gérer les risques. Mais dans l’espace médiatique, il en existe deux versions, très différentes l’une de l’autre. La première, la « vraie », est celle qui a été inscrite dans la constitution et qui prétend bénéficier d’une dimension objective : l’État, en fonction d’une procédure qui sera essentiellement scientifique, prend une décision qui résultera du rapport entre le coût et le bénéfice. La seconde, « sociétale », plus symbolique et qui résulte d’un glissement de sens, permet de revendiquer le droit de vivre « tranquillement », autrement dit de ne pas être exposé à une inquiétude, et de réduire non pas le risque mais l’inquiétude, le souci, l’angoisse. C’est ainsi que dans de nombreuses situations, en vertu du principe de précaution, il est demandé à tous ceux qui entreprennent (une activité productive ou une recherche créatrice) d’apporter d’avance « la preuve de l’absence de risque » qu’ils courent ou font courir aux autres, dont la complexité excède tout simplement les possibilités de la condition humaine, notamment parce que l’absence de preuve n’est pas la preuve de l’absence... Il leur est demandé en effet, au nom du même principe qui vire au « principe de suspicion », de prévoir l’imprévisible. Ainsi suscite-t-on et promeut-on la naissance d’un nouveau type d’Homme, qu’on somme de renoncer à tout progrès dans la connaissance et dans l’action, faute des certitudes absolues qu’il doit exiger de lui-même avant d’entreprendre...

 

Comment une telle situation est-elle devenue possible ? Cela ne provient pas de ce que la science serait insuffisamment diffusée, comme cela est souvent évoqué, car la vie quotidienne parle un langage pour partie scientifique. Mais la surinformation qui circule dans les médias est multiple et contradictoire : il est possible de lire un jour dans la presse que le vin rouge donne le cancer, le lendemain qu’il protège du cancer. Par sa surabondance, l’information créée de l’indécidabilité, donc de la perplexité.

 

Etienne KLEIN (CEA)

Président d’honneur du e-congrès λμ22

 

 

 

 

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